mardi 10 novembre 2015

Mort d’Helmut Schmidt. Mort d'André Glucksmann

Mort d’Helmut Schmidt, ex-chancelier et artisan de l’amitié franco-allemande

L’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, est mort le 10 novembre à l’âge de 96 ans, ont annoncé des médias allemands, en citant un de ses médecins et son entourage.

Son passage à la chancellerie avait été relativement bref, huit ans contre quatorze pour Adenauer, ou seize pour Helmut Kohl ; son nom n’était lié à aucune réalisation spectaculaire, comme l’Ostpolitik, la politique de normalisation avec les pays communistes, pour Willy Brandt, ou la réunification de l’Allemagne, pour Helmut Kohl. Pourtant, il était devenu le « vieux sage » de la République, dont les avis étaient toujours attendus avec intérêt, que ce soit sur la montée de la Chine, les interventions extérieures de la Bundeswehr qu’il désapprouvait – que sont allés chercher les Occidentaux en Afghanistan, se plaisait-il à répéter, un pays auquel ils ne comprennent rien ? –, ou la monnaie européenne qu’il avait anticipée sous la forme du système monétaire européen avec son ami Valéry Giscard d'Estaing. (Le Monde)




Le leçon d'europe de M. Schmidt

C'était mercredi 29 mai 2013. Invités par l'Ambassade d'Allemagne à Paris, Helmut Schmidt avait accepté de débattre pour quelques heures avec Valéry Giscard d'Estaing de «l'Europe en 2030- quel rôle pour le couple franco-allemand?». Personnalité profondément respectée dans son pays, l'ancien Chancelier, âgé de 95 ans, a suscité l'émotion en annonçant au début de son intervention, dans un nuage de fumée devenu sa marque de fabrique, qu'il entamait à Paris une «Abschiedbesuch», une tournée d'adieux dans les capitales européennes. Ces deux grandes personnalités franco-allemandes donnèrent à leur auditoire non seulement la leçon d'histoire qu'ils étaient venus entendre mais surtout une cure de jouvence et un espoir inattendus.
L'ancien chancelier de la République Fédérale d'Allemagne et l'ancien Président de la République française n'ont pas hésité à livrer à leur auditoire leur propre lecture de la crise européenne, avant de proposer sans ambages une Europe repartant sur la voie de l'intégration.
«Helmut» et «Valéry» partagent le constat que la crise qui a frappé l'Union Européenne ces derniers temps n'est pas une crise monétaire - l'euro ayant fait les preuves de sa résistance par sa valeur même- mais une crise institutionnelle.

Leur vision est celle d'une Europe reprenant la voie de l'intégration sur la base d'objectifs et d'échéances simples: avoir finalisé l'union budgétaire et fiscale, d'ici en 2030 selon l'ancien Président, sans doute un peu plus tard selon l'ancien Chancelier. Pour y parvenir, il faut reconnaître que le projet européen est désormais double. Pour certains pays, dont la Grande-Bretagne, l'Union européenne doit d'abord être une zone de libre-échange. Il est essentiel que ces pays soient rassurés sur ce choix. Pour d'autres, emmenés par la France et par l'Allemagne, il faut mettre en place un gouvernement économique européen, doté d'outils efficaces et rénovés: réduction du nombre de commissaires au sein de la Commission européenne, réforme du Parlement pour en faire un «congrès des peuples d'Europe» dont les représentants seraient également élus de leur Parlement national, nomination d'un «poids lourd» comme secrétaire général auprès du Conseil, …
Pour ces deux «sages», ce nouvel élan doit être donné sans attendre, et en tout état de cause avant les élections du Parlement européen de 2014, faute de quoi l'Union européen irait au «désastre».
Le constat de l'ancien Président français fut aussi sans appel s'agissant de la responsabilité allemande dans les difficultés que traverse notre pays: «en réalité, nous n'avons rien à reprocher aux Allemands, c'est vis-à-vis nous-mêmes que nous avons des regrets…»
Et lorsque vint la dernière question à l'ancien Chancelier, dans ce bâtiment qui fut la résidence de Bismarck lorsqu'il séjournait à Paris, sur les conditions de sa première rencontre avec Valéry Giscard d'Estaing et sur le fil directeur de ses relations avec son partenaire français, Helmut Schmidt répondit: «je me suis posé dès le début de ma vie politique ce principe «jamais sans la France, jamais contre la France». Et, dans une dernière volute de fumée et d'émotion, Herr Schmidt se retira.


Lire aussi
- Helmut Schmidt et Valéry Giscard d'Estaing, une amitié européenne (Le Figaro
- Les dernières confessions d'Helmut Schmidt (Le Point, article payant)
- L'hommage de l'Europe à Helmut Schmidt (RFI)
- Un visionnaire à poigne (Les Echos)
- L'ancien chancelier, européen convaincu, est mort (Sud-ouest)
- Helmut Schmidt et l'Europe Slate







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André Glucksmann :


André Glucksmann, la ferveur et l'engagement




L'auteur de La Cuisinière et le Mangeur d'hommes et des Maîtres penseurs, est décédé dans la nuit du 9 au 10 novembre. Figure de la gauche devenue anticommuniste grâce à Soljenitsyne, il avait fait partie des «nouveaux philosophes».

Philosophe et essayiste réputé pour ses engagements et son exigence, André Glucksmann est mort mardi 10 novembre à Paris, à l'âge de 78 ans. «Mon premier et meilleur ami n'est plus. J'ai eu la chance incroyable de connaître, rire, débattre, voyager, jouer, tout faire et ne rien faire du tout avec un homme aussi bon et aussi génial», a déclaré son fils Raphaël Glucksmann, dont le travail philosophique veut s'inscrire dans la filiation paternelle.
(...)
Au-delà du totalitarisme, qui est pour lui le phénomène marquant du XXe siècle, André Glucksmann engage une réflexion sur les relations entre la philosophie et l'Histoire. Dans Les Maîtres penseurs, ouvrage qui obtient un grand succès en 1977, il s'en prend aux figures de Marx, Hegel et Nietzsche dont les œuvres ont été instrumentalisées aussi bien par le communisme que par le fascisme, et continue, de livre en livre, notamment dansCynisme et passion (1981) et La Bêtise (1985), à ébaucher une réflexion sur la morale en politique, dans le sillage d'Hanna Arendt et d'Albert Camus.
(...)
Antistalinien devenu anticommuniste, Glucksmann va moins évoluer vers la droite, comme on l'a souvent dit, que vers une forme d'atlantisme qui va l'amener à prendre des positions tranchées en faveur des interventions américaines en Irak contre le régime de Saddam Hussein, en 1991 et en 2003. Partisan de la reprise des essais nucléaires décidés par Jacques Chirac en 1995, il soutient l'intervention de l'Otan en Serbie en 1999. Il va aussi militer pour la reconnaissance des droits du peuple tchétchène, pour la Géorgie et, plus largement, contre la politique du président Vladimir Poutine, accusant l'Occident de lâcheté à son égard.
(...)
N'hésitant pas à choisir l'isolement dans un monde intellectuel marqué à gauche, il prend parti pour Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007. Un acte politique que certains salueront comme courageux et où d'autres verront un ultime reniement de son passé gauchiste.
Moraliste engagé, André Glucksmann laissera sans aucun doute l'image d'un homme qui n'a jamais transigé sur ce qu'il estimait être l'essentiel. Il parlait avec fièvre et à cœur ouvert. Ainsi continuera-t-il de ferrailler violemment, ces dernières années, contre certains intellectuels et hommes politiques entichés de Vladimir Poutine. Partisan de l'action militaire française en Libye en mars 2011, il soutiendra l'idée d'une intervention contre le régime de Bachar el-Assad en Syrie.
Salué par Alain Finkielkraut qui lui accorde le statut de penseur fondamental de notre époque, André Glucksmann fut aussi pris à partie avec une grande violence, notamment par le philosophe Alain Badiou qui lui reprochera d'avoir trahi ses idéaux de jeunesse.
La colère et la misère du monde furent le moteur de son action, expliquait-il dans Une rage d'enfant, essai autobiographique paru en 2006, dans lequel le philosophe revenait sur ses ardents engagements de jeunesse.

Lire aussi :
- André Glucksmann, une conscience qui disparaît (Libération)
- Raphaël Glucksmann rend hommage à la mort de son père (libération , HuffingtonPost)












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