Margrethe Vestager
20 mars 2019
>>> Margrethe Vestager entre
dans la course à la présidence de la Commission
La populaire commissaire européenne à
la concurrence figure sur la liste des candidats principaux du groupe
ALDE, aux côtés de Guy Verhofstadt. Ce qui place la Danoise
dans la course pour la présidence de la Commission. (Euractiv)>>> Après Google, Apple... Margrethe Vestager, la 2e femme la plus puissante d'Europe
Parmi les dames de fer, il y a Angela
Merkel. Mais aussi l'inflexible commissaire européenne à la
Concurrence. La condamnation d'Apple pour ses arriérés d'impôts
en Irlande, l'enquête sur la position dominante de Google
? C'est elle. Rencontre.
On savait qu’elle n’avait pas peur
d’imposer ses goûts et ses idées. Et là, dans les longs couloirs
tristes du "Berlaymont", l’immeuble bruxellois où siège
la Commission européenne, on se dit d’emblée qu’elle sait aussi
accrocher la lumière. Allure élégante, taille impressionnante,
1,85 mètre, la commissaire chargée de faire respecter la
concurrence en Europe, la Danoise Margrethe Vestager, 48 ans,
détonne. Son bureau aussi.
Au dixième étage, ceux de ses
collègues – quasiment tous inconnus –, semblent tous plus
impersonnels les uns que les autres. Puis on tombe sur un vieux
panneau de signalisation cloué au mur : "Vestagervej"
(route Vestager). Le visiteur comprend tout de suite qu’il a quitté
le royaume des technocrates pour entrer dans le domaine de la femme
politique la plus puissante du continent, après Angela Merkel.
Margrethe Vestager n’est plus
seulement célèbre pour avoir inspiré le personnage de Birgitte
Nyborg dans le feuilleton à succès "Borgen". Elle vient
d’écrire une page d’histoire économique en exigeant qu’Apple
verse 12,8 milliards d’euros d’arriérés d'impôts à l'Irlande
– un quart du budget annuel de cette petite nation !
>>> Vestager: « Amazon et McDonald sont les prochains sur la liste»
La commissaire à la concurrence a été à la fois louée et critiquée dans l’affaire Apple. Alors que l’Irlande souhaite contester la décision en justice, la Commission a elle d’autres dossiers en cours concernant des compagnies américaines.
Margrethe Vestager est la commissaire européenne à la concurrence, responsable de du contrôle des aides d’État et des réglementations antitrust.
Le scandale Luxleaks a attiré l’attention du monde entier sur les réglementations fiscales luxembourgeoises. Pourquoi l’affaire d’Apple en Irlande est-elle la première à laquelle s’est attelée la Commission ?
Le Luxembourg était le premier cas, parce que le cas Fiat était un des premiers, mais il était beaucoup moins important, évidemment. Seulement 20 ou 30 millions d’euros. C’est une échelle complètement différente. Mais sur le principe, c’est la même chose : il s’agit de donner un avantage à une entreprise, qui bénéficie d’une réglementation fiscale particulière qui n’est pas accessible aux autres entreprises.
Est-ce que l’appel de l’Irlande contre votre décision risque de fragiliser la Commission ?
Non, au contraire ; on a préparé le cas pour qu’il soit le plus solide possible. J’ai demandé à mes équipes de changer d’angle et de mettre à l’épreuve le dossier aux arguments de l’opposition. Notre position est donc robuste. Nous savions qu’il pourrait y avoir un appel.
Ensuite, il n’y aura plus de remise en question. Aux yeux des États membres et des autres sociétés, notre position sera renforcée.
Quand le cas sera-t-il examiné par la justice ?
C’est à la Cour européenne de justice de fixer le calendrier. Pour l’heure, nous avons demandé aux autorités irlandaises de calculer le montant exact des taxes qui n’ont pas été payées. Elles devront procéder à cette évaluation en suivant notre propre méthodologie. Ensuite les montants en question seront versés sur un compte bloqué. Les procédures ont été les mêmes pour les affaires de Starbucks et de Fiat : l’appel n’est pas suspensif. L’argent sera donc perçu de toute façon.
Les autres États sont également invités à réclamer leur dû à Apple. Seules l’Espagne et l’Autriche ont visiblement l’intention de le faire. Espérez-vous que d’autres pays suivent le mouvement ?
Si une société se développe dans un pays, et génère des profits, il faut que les autorités fiscales s’y intéressent. C’est bien sûr à elles d’en juger. Il est toutefois difficile pour les autorités fiscales d’avoir le recul nécessaire. En effet, il règne une certaine opacité sur les régulations fiscales et sur l’activité des entreprises pays par pays. Ce cas a attiré l’attention seulement parce que le Sénat américain a commencé à poser des questions ! C’est pourquoi je suis vraiment en faveur d’un reporting public pays par pays, cela changera complètement notre attitude face à l’imposition des sociétés et la culture des entreprises.
Les États-Unis ont fait une lecture politique de la décision concernant Apple, affirmant qu’elles soulèvent des questions sur la souveraineté de la fiscalité. Quelle est votre réponse ?
Nous prenons cela très au sérieux. Il ne s’agit pas d’une décision politique, instinctive ou anti-américaine. C’est simplement l’application de la régulation européenne des aides d’État. Aux États-Unis, ce n’est pas interdit. Nous les avons donc invités à considérer la question à travers le prisme européen. C’est la législation européenne qui doit être appliquée dans cette affaire, la législation propre à l’UE. C’est ce que nous faisons depuis des décennies.
Une des raisons pour lesquelles nous avons besoin que les Etats-Unis comprennent bien notre décision, c’est qu’ils représentent un partenaire crucial au niveau mondial.
Nous avons besoin d’eux pour faire avancer des dossiers sur les taxes à l’OCDE, au G20. Tout le monde doit se rendre compte que c’est une question globale, pas européenne. C’est important de laisser le dialogue ouvert, dans le cadre d’une coalition globale sur la question fiscale, pour aller vers une taxation équitable.
L’OCDE est leader en matière de lutte contre évasion fiscale, comme le montre le projet BEPS, qui est maintenant reconnu par tout le G20. Ce travail est précieux, il est arrivé au bon moment : on peut légiférer en fonction de cela.
Vos prochaines décisions politiques pourraient-elles concerner une autre entreprise américaine ?
Je n’ai pas le choix, j’ai beaucoup de dossiers concernant des sociétés américaines ! En Europe il y a une étrange fascination pour les entreprises américaines, mais la grande majorité de nos décisions concernent des sociétés européennes, et pas nécessairement pour des questions fiscales. La règle, c’est que cela implique des sociétés européennes, mais comme c’est notre travail habituel, cela ne fait pas les gros titres et ne devient pas un débat public.
Nous avons encore besoin de réponses pour l’affaire Google, mais Amazon, McDonalds, et d’autres sociétés américaines très connues, sont déjà sur la liste.
Tout comme Ikea.
Oui, nous sommes en train de regarder ce que les Verts nous ont transmis, mais il est un peu tôt pour en tirer des conclusions.
Les taxes ne relèvent pas des compétences de l’UE. C’est pourquoi vos équipes ont abordé la question dans le cadre de la politique de concurrence, ce qui est une première. Vous avez certainement également connaissances des problèmes liés au dumping social. Pensez-vous que cette question pourrait également être gérée en s’appuyant sur la concurrence ?
À mon avis, le dumping social doit être abordé directement. Nous pouvons observer dans de nombreux États membres que les autorités nationales ont l’herbe coupée sous le pied par des personnes prêtes à effectuer le travail pour bien moins cher.
Je pense que pour gérer cela efficacement, les prix devraient être les mêmes pour les mêmes services, dans une Europe sociale. Ce serait cohérent avec nos valeurs d’équité.
Dans le cadre de la fusion de Bayer et Monsanto, il y a eu d’importantes inquiétudes au sujet d’une potentielle augmentation du prix de la nourriture et la concentration de la production de graines génétiquement modifiées. Allez-vous vous pencher sur la question ?
Il est encore trop tôt pour que je commente ce cas en particulier. Ce qui est important, c’est que les fermiers aient le choix des produits, qu’ils puissent utiliser différents types de graines, et qu’ils ne soient pas contraints d’utiliser un seul pesticide. L’agriculture concerne tout le monde, donc c’est un secteur très important.
Ce que nous constatons, c’est que sur les dix dernières années, il y a eu une augmentation dans le niveau de concentration dans le secteur appelé « protection des plantes ». Au niveau de la recherche et du développement, un élément très important pour le futur de l’agriculture, nous voyons aussi une concentration accrue. Nous devons garder cela en tête.
Les dirigeants européens parleront beaucoup de sécurité et de défense au sommet de Bratislava le [16 septembre]. Comment faire rêver les Européens en parlant sans cesse de ces sujets ?
Nous ne devrions pas avoir peur de lire le journal le matin. La sécurité est un élément de base. Il s’agit d’avoir la certitude que nous pouvons y arriver seuls. Comme l’a dit le président Jean-Claude Juncker, nous avons un mode de vie européen et nous nous y tenons. Ça vaut la peine de développer et préserver cet endroit où il fait si bon vivre.
C’est mon avis, en particulier en tant que femme. Dans toute l’histoire du monde, vous ne pourriez espérer trouver un meilleur endroit pour vivre en tant que femme. Je suis consciente que nous avons des problèmes et je ne dis pas que tout va bien. Nous avons néanmoins tendance à oublier quel endroit merveilleux est l’Europe.
L’UE est pourtant un monde d’hommes. Quel est votre secret pour vous faire entendre en tant que femme ?
Je n’en ai pas, c’est simplement moi ! Pendant des années, j’ai eu la chance d’avoir du pouvoir. Je pense que quand vous avez du pouvoir, vous devriez laisser la population apprendre à vous connaître un peu. J’essaie d’avoir un peu plus de personnalité qu’un simple uniforme.
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Bruxelles : heureusement qu'il reste la commissaire Margrethe
Vestager !
L'ex-commissaire Neelie Kroes, prise
la main dans le pot de confiture des "Bahamas papers",
était la première à critiquer l'action courageuse de Margrethe
Vestager contre l'évasion fiscale des multinationales.
Emily O’Reilly,
la
gendarme européenne de l’éthique
Médiatrice de l’UE depuis 2013,
cette Irlandaise en a fait progressivement un lieu important pour le
respect de l’éthique au sein des institutions. Elle se penche
notamment sur le cas de Barroso, l’ex-numéro un de la Commission
qui a cédé aux sirènes du « pantouflage ».
L’embauche par Goldman Sachs de José
Manuel Barroso, ancien président de la Commission, Emily O’Reilly
en a été informée cet été par un SMS signé de l’un de ses
collaborateurs. Elle en a eu confirmation en ouvrant les pages saumon
du Financial Times.
Elle a tiqué, elle a frémi : un
ancien haut fonctionnaire qui rejoint le privé, difficile de laisser
passer. Elle s’est accordé un temps de réflexion, pour analyser
la situation : « Ce n’est pas mon boulot de foncer tête
baissée », explique la médiatrice européenne, élue par
le Parlement en 2013.
Mais le Portugais n’enfreint aucune
règle européenne en rejoignant la banque d’affaires londonienne à
la réputation sulfureuse : c’est ce que répète à plusieurs
reprises le président de la Commission Jean-Claude Juncker. Alors
Emily O’Reilly se lance et lui adresse une lettre réclamant une
enquête autour de ce recrutement.
Une carrière impressionnante
La médiatrice
argumente : même si le code de conduite des anciens commissaires
ne leur impose qu’une période de carence de dix-huit mois, le
respect de l’intégrité, lui, doit perdurer. Le Luxembourgeois
accepte : le comité d’éthique chargé de conseiller son
institution s’empare du dossier.
Emily
O’Reilly est comme ça : fonceuse. À l’idée de revenir sur sa
carrière depuis la fin de ses études, elle s’amuse : « On
risque d’en avoir pour un moment ! »
Elle le sait :
son parcours est impressionnant. Ex-journaliste politique, lauréate
de deux prix de renom, auteur de trois livres à succès, elle a été
médiatrice en Irlande pendant pas moins d’une décennie. Avant
d’occuper ce même poste pour cette grosse machine nommée Union
européenne (UE).
Efficacité, transparence,
responsabilité
En dehors des
institutions, rares sont ceux qui connaissent l’existence de
l’« ombudsman ». Pour simplifier, Emily O’Reilly est
la gendarme européenne de l’éthique. Mais la bureaucratie
bruxelloise n’est pas friande de raccourcis.
« Être
médiatrice, c’est avant tout s’occuper des plaintes de citoyens
qui s’estiment lésés par l’administration de l’UE,
éclaire la tenante du rôle.
J’ai aussi mis en place un bureau d’enquêtes stratégiques :
nous ouvrons nos propres enquêtes quand nous identifions des
domaines dans lesquels la transparence fait défaut. »
L’ambition
d’Emily O’Reilly est d’encourager les institutions et autres
agences à devenir plus efficaces, transparentes et responsables.
Pour ce faire, elle tient à augmenter sa visibilité et celle de son
travail.
Elle ne cache pas
que des cas comme celui de Barroso l’y aident : « Autour
de moi, les gens sont tout à coup plus curieux »,
sourit-elle en mentionnant une autre affaire, impliquant quatre clubs
de football espagnols, qui lui avait déjà valu beaucoup d’attention
au début de son mandat.
« À la Commission, ils
m’adorent ! »
Son poste a été
créé par le traité de Maastricht, en 1992. Emily O’Reilly
se réjouit du respect que lui montrent les autres institutions, mais
ne s’en étonne pas : ce sont elles qui ont voulu cette fonction.
« à la Commission, ils m’adorent ! » lance
l’Irlandaise.
Une boutade peu
éloignée de la réalité : « Elle fait un boulot
incroyable, commente une source européenne. Rien à voir
avec son prédécesseur… » Dans ses bureaux aussi, il
semble faire bon vivre : « Je suis opposée à toute
forme de hiérarchie », témoigne la chaleureuse
Strasbourgeoise.
Emily O’Reilly a
élu domicile en Alsace, avec son mari et leurs cinq enfants. Mais
elle passe quand même beaucoup de temps dans cette « bulle
de lobbyistes » qu’est Bruxelles. « Quand je
suis en Belgique, c’est 100 % travail. à Strasbourg, il n’y
a pas que cela », résume-t-elle.
Cours de français
À bientôt
60 ans, elle continue de suivre des cours de français et
s’astreint à pratiquer la langue de Molière avec ses quelque
80 collègues. « Dans les institutions, il est facile
d’être paresseuse et de se contenter de l’anglais »,
déclare-t-elle dans un français bien maîtrisé.
L’intitulé de
son titre ouvre la voie à un éternel débat : « Ombudsman »…
Ne faudrait-il pas parler d’« ombudswoman » ? Voire
d’« ombudsperson » ? Au moins, en français, la
question ne se pose pas : elle est médiatrice, « et
voilà ! ».
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