>>> Pourquoi s'inquiéter pour la Moldavie voisine
Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian se rend sur place ce jeudi alors que la Transnistrie, région autonome sous influence russe à l'est du pays, alarme particulièrement la France.
Jusqu'où ira l'impérialisme russe ? Vladimir Poutine va-t-il «dégeler» le conflit en Transnistrie, où sont stationnés entre 1000 et 1500 soldats d'occupation russes ? «Nous sommes inquiets pour la suite», a confirmé Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères. «Nous nous tenons aux côtés de la Moldavie et de la Géorgie pour défendre leur souveraineté et leur sécurité», martèle, de son côté, Emmanuel Macron. En effet, le port ukrainien d'Odessa, sous le feu russe, n'est qu'à 40 km de la frontière moldave. Si Chisinau ne soutient pas les sanctions européennes, son espace aérien est fermé et l'état d'urgence est décrété pour 60 jours.
«La Moldavie regarde, circonspecte, son voisin subir une agression avec une forme d'inquiétude palpable. La question se pose : quel est l'objectif de Poutine ? Pourrait-il aller plus loin ? Pour l'instant, la dynamique du conflit demeure floue», témoigne Florent Parmentier, enseignant à Sciences Po Paris et spécialiste de la géopolitique de l'Europe de l'Est. Le pays de 3 millions d'habitants ressent déjà les effets collatéraux de la guerre et accueille environ 70.000 réfugiés ukrainiens. «L'équivalent de 3% de la population en cinq jours. Par comparaison, c'est comme si la France accueillait 1,8 million de personnes», note l'enseignant.
L'influence russe toujours bien présente
Malgré «un sentiment de solidarité avec l'Ukraine très partagé», la Moldavie tient à sa neutralité. Depuis 1994, l'article 11 de sa Constitution dispose une neutralité permanente, mais aussi l'inacceptation d'une occupation étrangère. Chisinau a demandé à plusieurs reprises le départ des forces d'occupation russes de Transnistrie - environ 1500 soldats. Après l'indépendance moldave en août 1991 juste avant la chute de l'URSS, cette région de l'Est, majoritairement peuplée de russophones, déclare à son tour son indépendance et une guerre s'engage contre les autorités moldaves. Sous la supervision de Moscou, un accord reconnaît une autonomie de la région et la possibilité d'un référendum d'autodétermination en cas de réunification de la Moldavie avec la Roumanie. Depuis, aucune opération d'ampleur n'a été engagée contre la région rebelle qui possède un gouvernement, une monnaie et quelques forces armées. Ses 500.000 habitants continuent de vivre dans un étonnant décor qui ressemble à une URSS miniature avec drapeaux rouges, faucilles et marteaux, et statues à la gloire du communisme dans la capitale, Tiraspol.
Un espace post-soviétique de plus en pus rétif aux désirs du Kremlin
1. CRISE POST-ÉLECTORALE BIÉLORUSSE
La rue biélorusse conteste depuis le 9 août la réélection de son président au pouvoir
depuis 1994. Ne voulant pas d’un scénario à l’ukrainienne face à une population qui
ne manifeste pas de sentiments anti-russes, Poutine ne peut non plus se permettre
de lâcher Loukachenko sous peine de faire aveu de faiblesse alors qu’il considère
ce pays comme faisant parti de la « Grande Russie ».
2. REVERS ÉLECTORAL MOLDAVE
Le 15 novembre voit la défaite du président sortant Igor Dodon, pro-russe face à l’ex-première
inistre Maia Sandu, favorable à un rapprochement avec l'UE.
3. GUERRE DU HAUT-KARABAKH
Le 27 septembre le président azerbaïdjanais Aliev lance une offensive contre
les Arméniens de l’Artsakh (Haut-Karabakh). Elle prend de court Moscou qui jusqu’ici
jouait sur les deux tableaux (Erevan et Bakou) afin d’apparaître comme l’arbitre
de ce conflit de 30 ans. Réticent à soutenir Pachinian, le président arménien jugé
trop pro-occidental, Poutine impose au final un accord de cessez-le-feu total
non s’en avoir laissé entrer le loup turc dans sa bergerie caucasienne.
4. CRISE POST-ÉLECTORALE KIRGHIZE
Des accusations de fraude aux législatives du 4 octobre aboutissent à une guerre
des clans suivie d’une crise institutionnelle qui se termine par la démission
du président Jeenbekov soutenu par Moscou. Une situation chaotique qui pourrait
faire du pays une proie facile pour la Chine qui détient la moitié de sa dette.
La Russie a oscillé depuis la fin du conflit entre deux options : la reconnaissance de la république séparatiste autoproclamée et un contrôle plus large sur la politique moldave via une réintégration de la Transnistrie dans une Moldavie proche des intérêts russes ou éloignée de l'Otan. En 2020, Maia Sandu, pro-européenne, remporte l'élection présidentielle et détrône Igor Dogon, plus proche de la Russie. Depuis 2016, un accord d'association avec l'Union européenne délie progressivement le pays de la Russie, malgré une forte dépendance aux importations gazières.
La présence de troupes russes, officiellement pour protéger les «minorités russes», et la volonté de Moscou de préserver la neutralité du pays rappelle, en partie, le scénario ukrainien. De plus, l'implantation de nombreux arsenaux militaires fait craindre le pire. «Si les Russes prennent Odessa, on peut imaginer toutes les formes de scenarii. Poutine jugera-t-il que les troupes russes stationnées en Transnistrie sont suffisamment entraînées et efficaces pour mener le siège d'Odessa ? Elles pourront être mobilisées, mais il n'y a pas de nécessité opérationnelle». Quant au trafic d'armes, qui générerait une partie importante des revenus de la région séparatistes, la mission de l'Union européenne à la frontière entre la Moldavie et l'Ukraine avait estimé en 2006 que peu d'armes transitaient réellement. «S'il y a bien des armes dans la région, les estimations sont un peu surévaluées».
L'autre crainte est que l'adhésion de la Moldavie à l'Union européenne ne constitue un casus belli pour Moscou. «La Russie semble défavorable à l'entrée de la Moldavie dans l'Union européenne. Néanmoins, les différents gouvernements proches de la Russie n'ont pu obtenir de participation à l'union eurasiatique. Pour Moscou, le plus important est de régler le cas de la Transnistrie dans ses propres termes», estime Florent Parmentier. De fait, même les partis les plus favorables au Kremlin ne demandent plus la sortie de l'accord d'association avec l'Union européenne. «Il y a donc un changement. Plusieurs responsables politiques moldaves m'ont dit que, dans leurs discussions avec les officiels russes, ces derniers passent de longs moments à expliquer l'importance de la neutralité moldave», rappelle l'enseignant.
Pour le moment, la Russie suit son plan d'offensive et semble concentrée sur l'opération en Ukraine.
Florent Parmentier
Une fois l'invasion de l'Ukraine terminée, la Moldavie pourrait-elle être la prochaine victime de l'impérialisme russe ? «Pour le moment, la Russie suit son plan d'offensive et semble concentrée sur l'opération en Ukraine. Il est difficile de savoir où cette aventure militaire va atterrir, mais en fonction la Moldavie s'adaptera», explique Florent Parmentier.
Afin de renforcer la présence de l'Otan sur ses frontières orientales, la France a envoyé des forces de réassurance en Roumanie voisine, à quelques kilomètres de la Moldavie. «Depuis le début de la crise, les relations entre la France et la Moldavie sont au niveau le plus élevé depuis son indépendance. Sa présidente a été reçue deux fois par Emmanuel Macron», rappelle le chercheur. La présence de troupes françaises à la frontière démontre, selon lui, «un investissement de la France dans la région. De ce point de vue là, le retour de soldats français dans une région où elle n'était plus depuis la Première guerre mondiale, permet d'indiquer notre intérêt pour la Moldavie». Signe de cet intérêt, Jean-Yves Le Drian se rend ce jeudi en Moldavie.
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