mercredi 24 avril 2024

L'Ukraine se bat pour l'Europe

 >>> Pour les Ukrainiens, l'enjeu du conflit dépasse largement leur pays et s'inscrit dans un projet néoimpérial russe au vu des actions du Kremlin aux quatre coins du monde et des discours officiels à Moscou.

« Je préfère envoyer des munitions en Ukraine que nos garçons pour y combattre. » La phrase du speaker de la Chambre des représentants américains, Mike Johnson, pour justifier, samedi, la première aide d'ampleur des Etats-Unis depuis dix-huit mois, résonne particulièrement en Ukraine.

Du médecin à la mère de soldat prisonnier, en passant par les militaires, les députés du pouvoir comme de l'opposition, les historiens, les conseillers présidentiels, les experts de think-tank, l'analyse est unanime : on peut difficilement croire que le Kremlin a déclenché cette guerre pour quelques bouts du Donbass, ou une perspective d'adhésion de l'Ukraine à l'Otan encalminée depuis quatorze ans. « On se bat aussi pour vous, nous sommes juste en première ligne », assène-t-on.

Poutine ne s'arrêtera pas de lui-même

Certes, les Ukrainiens se battent d'abord pour leur pays, l'immense majorité, y compris parmi les 25 % de russophones refusant de vivre sous la botte de Poutine. Les crimes de guerre à Boucha, ou Irpine, l'élimination de tous les signes de culture ukrainienne dans les territoires occupés, les témoignages de proches de civils kidnappés avec maltraitance et tortures, en violation de toutes les lois internationales, ont eu raison de toutes les tentations de compromis.

Mais tous soulignent que le conflit concerne toute l'Europe, voire le monde entier et que seules les armes arrêteront Poutine. Ne serait-ce que parce qu'il a lui même reconnu candidement, dans son discours à la nation en mars, ne pas avoir encore rempli son objectif qui demeure la neutralisation et la « dénazification » du régime ukrainien, en clair la vassalisation complète du pays. Il continuerait vraisemblablement, après une pause de deux ou trois années, que son armée reprenne son souffle, dans d'autres pays, estime-t-on. Les relais du Kremlin, et le vice-président du Conseil national de sécurité de Russie, Dmitri Medvedev lui-même, soulignent d'ailleurs régulièrement que les frontières voire la substance historique de parties de la Finlande, des Etats Baltes, ou de la Pologne sont « discutables ».

Chantage nucléaire

En outre, « le futur de l'humanité dépend de la punition de l'agresseur et surtout du fait qu'une puissance nucléaire ne doit pas pouvoir faire chanter un voisin et ses alliés », souligne le député du parti au pouvoir, Oleksandre Merezhko, comme sa collègue Irina Guerachenko. Un chantage illustré par la crainte des Occidentaux de toute escalade, notamment leur refus d'intercepter les missiles russes comme ils l'ont pourtant fait sans hésiter pour protéger Israël de l'Iran récemment, note le gouverneur de Lviv, Maksym Kozytskyi. 

L'historien Yaroslav Hrytsak ajoute que la culture politique ukrainienne incarne même un contre-exemple très dangereux pour le régime russe ; elle affirme que personne n'est au-dessus de la loi, tandis que dans l'histoire russe le tsar est au-dessus des lois et incarne la nation…

La troisième guerre mondiale selon le Kremlin

« Ce que vous, Occidentaux, peinez à comprendre, c'est que Poutine est engagé dans un projet néo-impérial et qu'il ira jusqu'au bout », explique Oleksandr Bogomolov, directeur de l'Institut national des études stratégique, qui ajoute « ce n'est d'ailleurs pas la guerre du seul Poutine, elle reflète les obsessions de nombreux Russes, une revanche sur l'Occident ». Faut-il dès lors craindre une troisième guerre mondiale ? « Mais elle a déjà commencé pour Poutine, s'esclaffe le chercheur, depuis dix ou quinze ans, regardez comment il boute les Français hors d'Afrique. En Syrie c'est un théâtre différent du Donbass, mais cela s'inscrit dans le même projet, qui essaye de rallier le Sud global, dont une partie est prisonnière d'un syndrome postcolonial. »

Tout le monde semble avoir conscience des difficultés économiques à l'Ouest, du faible niveau de ses stocks de munitions en raison d'un irénisme pacifiste depuis la fin de l'URSS, un militaire avouant d'ailleurs qu'il ne s'attendait pas à ce que les Occidentaux fournissent tant d'armes. Malgré la faible qualité de certaines armes fournies à Kiev et les déceptions ressenties à l'utilisation des chars Abrams et Léopard 2, Oleksander Lytvinenko, secrétaire du Conseil national de défense, répond toutefois : « quand on vous donne un cheval, on ne chipote pas sur sa dentition ».

LesEchos

 

 

 

 

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