mercredi 5 mars 2025

Hommage à Vasyl Ratushnyi: la défense ukrainienne a le prix du sang

 - En Ukraine, la population, exsangue après trois ans de guerre, n'en finit pas de compter ses morts. Fin février, la mort sur la ligne de front de Vasyl Ratushnyi a ému la nation toute entière, qui lui a rendu hommage ce mercredi à Kiev. 

Lorsque les prêtres orthodoxes entonnent leurs chants qui résonnent dans la cathédrale Saint-Michel-au-Dôme-d'Or, au centre de Kiev, il n'y a encore que quelques dizaines de personnes assemblées autour du cercueil ouvert de Vasyl Ratushnyi, un soldat pilote de drone tué sur la ligne de front par un drone FPV russe le 27 février. Il aurait dû fêter ses 29 ans le 13 mars prochain.

Des caméras se pressent autour de la famille éplorée, et petit à petit, la cathédrale se remplit. Il y a des civils et des soldats, certains blessés, venus rendre un dernier hommage à leur ami et camarade. Dans un rituel devenu tristement familier aux Ukrainiens, des centaines de personnes sont venues dire au revoir au jeune Kiévien.

Devant le cercueil, Svitlana Povalyaeva, la mère de Vasyl, célèbre poétesse et autrice ukrainienne, regarde dans le vide, sonnée par la douleur, et comme elle avait peine à croire se retrouver à nouveau là : c'est le deuxième fils qu'elle perd dans la guerre, après la mort de son cadet, le célèbre activiste Roman Ratushnyi, personnalité très appréciée en Ukraine, tué sur le front à Izyum, dans la région de Kharkiv, en juin 2022.

Les deux frères avaient participé à la révolution de Maïdan

Les deux frères, Vasyl et Roman, 18 et 14 ans en 2014, avaient participé à la révolution de Maïdan. Leur parcours est le symbole d'une génération d'Ukrainiens nés dans une Ukraine libre et indépendante, prêts à mourir pour leurs rêves d'Europe et de liberté. Dès Maïdan, Vasyl avait rejoint l'armée et combattu dans le Donbass pendant plusieurs années. Moins connu que son frère Roman, dont la mort à 24 ans avait déjà bouleversé le pays, il est devenu avec sa mort le nouveau symbole d'une génération perdue, annihilée par l'agression russe.

Deux ans et demi après la mort de son cadet, Svitlana Povalyaeva a, à nouveau, annoncé la mort d'un fils, son aîné cette fois, en partageant des photos de Vasyl et une capture d'écran de l'un de leur dernier échange téléphonique : « Lors d'une mission de combat, de nuit, un drone FPV a tué le pilote de drone Vasyl Ratushniy. Mon aîné, ma vie ». Signe de la détermination avec laquelle son fils s'était engagé dans l'armée, quelques jours après sa mort, elle ajoutait : « Vasyl n'utilisait pas les réseaux sociaux, évitait la publicité, était sceptique au sujet des titres et des récompenses, il me les remettait immédiatement "pour que je sois fière". Son seul souhait, sa seule volonté, c'était de détruire l'ennemi ».

Taras Ratushnyi, le père, était journaliste avant 2022. Lui aussi a pris les armes pour défendre l'Ukraine. Accompagné de sa seconde épouse, soutenu par ses proches et ses frères d'armes, il se tient droit dans son uniforme pour rendre hommage à son aîné, dont le visage pâle est entouré d'une couronne d'œillets rouges.

 

« Si nous ne devenons pas une nation de guerriers... nous cesserons d'exister en tant que nation »

La souffrance de la famille Ratushnyi est indicible, et elle est celle d'un peuple entier, endeuillé au quotidien : après la cérémonie à Saint-Michel, une procession se forme, et la foule scande, « Gloire à l'Ukraine, Mort à l'Ennemi ». La foule se dirige vers Maïdan Nezalezhnosti, la place de l'Indépendance, là où tout a commencé. Sur Khreshchatyk, l'avenue principale de Kiev, les voitures et le temps s'arrêtent pour laisser passer le cortège. Sous le monument de l'Indépendance, la foule met un genou à terre devant la dépouille de Vasyl Ratushnyi, alors que ses camarades prennent la parole, ainsi que son père, Taras, qui trouve la force de dire : « Les mots n'ont pas d'importance, seules les actions comptent. Lorsqu'on me demande ce que je dirai aux parents d'autres fils, je leur réponds : si nous ne devenons pas une nation de guerriers, si nous ne devenons pas le mur que l'ennemi ne parviendra jamais à franchir, nous cesserons d'exister en tant que nation. Prenez votre place sur le mur, au fur et à mesure que l'espace se vide ».

La famille Ratushnyi, broyée par la guerre, est un exemple parmi des milliers de familles ukrainiennes dont un ou plusieurs membres ont versé leur sang pour contrer l'agression russe. À l'heure où des pourparlers sur le futur de l'Ukraine se jouent sans Kiev, et où la population fait face à une incertitude immense quant à l'avenir du pays, il faut se rappeler que pour les Ukrainiens, il s'agit d'une guerre de survie, une « guerre existentielle », comme le disait le Premier ministre Denys Shmyhal lors de sa conférence de presse du 4 mars.

« Un prix trop élevé pour que n'importe lequel d'entre nous arrête de résister »

À propos des Ratushnyi, Sasha Dovzhyk, directrice du centre de documentation et d'échange sur la guerre INDEX, déplore : « Svitlana a perdu ses deux fils dans cette guerre, cette peine est inimaginable. Ce prix est trop élevé pour que n'importe lequel d'entre nous arrête de résister ». 

Dans l'un de ses poèmes, Svitlana Povalyaeva écrivait : « Il est venu brièvement pour laver toutes ses affaires. Je crois qu'il survivra, mais il ne reviendra jamais. Personne ne revient jamais vraiment de la guerre ». Selon l'expression consacrée en Ukraine, ses deux fils auront à jamais 24 et 28 ans.

Sur la place Maïdan, Taras Ratushnyi dépose les dernières fleurs dans les bras de son fils, avant que le cercueil ne se referme. Alors que la foule entonne l'hymne ukrainien, il en murmure chaque mot, comme pour se donner le courage de continuer à vivre, et de continuer à se battre.

RFI




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