vendredi 5 juillet 2024

Législatives : « La guerre en Ukraine est aussi la nôtre, et nous avons un choix à faire »

> Ingérence russe : les médias européens pris au piège (Lemonde)

> Marine Lepen (...) ajoute que, si son parti arrive aux affaires au lendemain du 7 juillet, il reviendra sur l’autorisation accordée à l’armée ukrainienne d’utiliser des missiles fournis par la France pour bombarder des cibles en Russie. (Lemonde, 21:00 )

> « Les positions du RN sur l’Ukraine sont globalement alarmantes ». La politiste et réfugiée ukrainienne Oksana Mitrofanova analyse, dans un entretien au « Monde », les réactions en Ukraine face aux conséquences pour Kiev d’une éventuelle victoire électorale du Rassemblement national. Lemonde


  > Pour Pascal Turlan, juriste international, voter pour le Rassemblement national dimanche, c’est choisir d’installer au pouvoir ceux qui privilégient une alliance avec la Russie, c’est choisir la force contre le droit, c’est oublier tous ceux qui, à l’est de l’Europe, ne cherchent plus qu’à survivre. 

Le 24 février 2022, nous avons assisté en direct sur nos écrans à l’invasion du territoire ukrainien par les forces armées russes. A l’agression d’un Etat souverain par un autre, aux portes de l’Europe, à moins de 2 000 kilomètres de Bruxelles ou de Strasbourg.

Soixante-douze ans après l’adoption de la Charte des Nations unies, un Etat membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies, à ce titre garant de l’architecture de paix et de sécurité internationale mise en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale, a décidé d’envahir son voisin par la force, hors de tout cadre légal, en violation flagrante des règles du droit de faire la guerre, et sans aucun souci ne serait-ce que de préserver les apparences de la légalité, par pure volonté d’appropriation d’un territoire et de ses ressources et de contrôle de ses populations. 

Les semaines et les mois suivants, nous avons vu les images des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis à Boutcha, Marioupol, Izioum, Kherson, Kharkiv, dans toutes les régions occupées, au passage des forces armées russes. Des meurtres, tortures, viols, traitements inhumains et dégradants, des destructions, pillages et attaques contre des bâtiments publics…

Cent soixante-trois ans après la bataille de Solférino, soixante-treize ans après les Conventions de Genève, les autorités russes ont choisi de mener leur guerre en utilisant tous les moyens et toutes les méthodes de conflit prohibées par le système de protection du droit international humanitaire patiemment mis en place. Comme si leurs commandants avaient pris dans leurs bagages la longue liste des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, non pas pour former et encadrer leurs troupes, mais pour s’assurer qu’ils les commettraient tous.

Cette guerre a été menée depuis le début sans considération pour la distinction entre militaires et civils. Elle a visé des civils tous les jours : mi-2024, le bureau du procureur général d’Ukraine, que nous soutenons dans ses enquêtes, recensait plus de 34 000 victimes civiles, dont au moins 12 500 tués. Elle a frappé plus de 170 400 biens civils. Dont 783 bâtiments médicaux, 3 305 écoles, 607 bâtiments culturels, 6 887 infrastructures de communication. Elle a visé l’environnement naturel – par exemple avec l’explosion du barrage de Kakhovka – avec un impact à venir sur des dizaines d’années. 

La Russie a ciblé systématiquement les infrastructures énergétiques, avec 447 frappes recensées depuis 2022, plongeant les civils dans le froid et l’obscurité. Malgré ses efforts, cette obscurité n’est pas suffisante pour cacher les crimes commis, qui continuent jusqu’aujourd’hui.  

Aider les victimes ou s’allier avec leurs bourreaux

Si l’on n’est pas attentif, on les voit moins. On voit moins à la une ces incidents massivement effroyables qui ont accompagné les premiers temps de l’invasion. Mais les victimes sont là pourtant, cachées dans les fils embrouillés de vos réseaux sociaux. Elles sont tapies dans les mises à jour des directs en ligne. Elles font partie du bruit de fond. Et vous les remarquez moins derrière l’actualité politique et les autres crises. Mais elles sont là. Au cœur du continent. Et nous avons à décider si l’on veut aider ces victimes ou nous allier avec ceux qui les ciblent.

Il y a encore des dizaines de victimes en Ukraine chaque semaine. Sans même parler des militaires. Des civils tués sous les frappes aériennes dans leur vie de tous les jours, dans des centres de tri postal, des ateliers de fabrication de livres, des centres commerciaux, dans la rue. Ne serait-ce que cette semaine, le 30 juin, une personne a été tuée et neuf autres ont été blessées par une frappe sur un centre postal à Kharkiv. Le 29, sept personnes ont été tuées et près de 40 ont été blessées dans la région de Zaporijjia, quatre autres sont mortes dans la région de Donetsk. Le 28, deux personnes ont été tuées à Kherson, quatre dans l’Est et le Nord-Est. C’est une attaque sans fin. Et nous avons à décider si l’on veut stopper ces crimes ou nous allier avec ceux qui les commettent.

Les autorités judiciaires ukrainiennes avec qui nous travaillons font ce qu’elles peuvent, malgré le manque de capacités, les difficultés à enquêter sous les bombardements, les obstacles aux poursuites des auteurs. Le bureau du procureur général Andriy Kostine enquête aujourd’hui sur 131 144 crimes de guerre. Le procureur en charge des crimes de guerre à Kharkiv, Spartak Borisenko, gère 23 914 cas, uniquement pour sa région. Il témoigne des milliers de frappes indiscriminées et d’attaques de bâtiments civils. De l’épuisement des populations et de ceux qui leur viennent en aide. Et nous avons à décider si l’on veut juger les criminels de masse ou nous allier avec eux.

Ces crimes démontrent une volonté de punir de façon indiscriminée toute une population. Une volonté de détruire un pays simplement parce qu’il n’accepte pas d’être contrôlé et occupé. Une volonté de détruire sa culture, de changer sa population et de la russifier, déjà objet d’accusations de la Cour pénale internationale, dont les premiers mandats d’arrêt portaient sur la déportation d’enfants

Une guerre chez nous

Et nous avons à décider quoi faire de cette guerre à nos portes. Si on ne s’en occupe pas, elle s’occupera de nous. Elle n’est pas plus loin de Bruxelles que le sud de l’Espagne, ou de Paris que le sud de l’Italie. Pour avoir travaillé depuis près de vingt-cinq ans sur de nombreux théâtres de conflit, je ne pensais pas me retrouver à travailler sur de tels crimes presque à domicile.

Cette guerre est déjà chez nous : par sa stratégie organisée, méticuleuse et délibérée de pillage des ressources, de prise de contrôle de l’agriculture ukrainienne dans les zones occupées, de destruction de l’économie ukrainienne, la Russie influence le cours de l’économie mondiale et, par ricochet, la situation de nos concitoyens, et manipule les esprits pour en rendre l’Ukraine responsable.

Cette guerre est multidimensionnelle. Elle a plusieurs lignes de front : militaire, économique, politique, juridique, informationnelle, psychologique. Elle est pensée depuis longtemps et répond à un plan précis. Elle se nourrit d’une volonté d’imposer la force comme moyen de régulation des relations internationales. De prises de contrôle progressives – par l’intermédiaire de Wagner d’abord, puis de l’Africa Corps – des ressources de pays subsaharien et du recyclage des bénéfices pour soutenir l’effort de guerre en Ukraine. De partenariats avec des régimes tels que l’Iran, dans une alliance d’opposition à l’occident. D’actions de déstabilisation politique d’un Occident présenté comme dégénéré, par l’intermédiaire des réseaux sociaux et de stratégies de manipulation de l’information. Cette guerre est celle d’un système qui veut s’imposer à nous.

Et nous avons à décider si nous voulons importer ce système, ou soutenir l’état de droit et la paix.

Cette guerre frappe un pays qui n’avait rien demandé d’autre que de se rapprocher, finalement, de l’Europe, comme garante de sa paix et de sa sécurité. Qui fait partie du Conseil de l’Europe – dont la Russie a été exclue pour « violation des normes juridiques et morales qui régissent la coexistence pacifique des Etats ». Qui fait partie de la Convention européenne des droits de l’homme – dont la Russie s’est retirée. Et nous avons à décider si nous soutenons l’effort de guerre Ukrainien pour les protéger et nous protéger maintenant, ou si nous favorisons un état de guerre à long terme en Europe, qui ne s’arrêtera pas là. 

Le RN, idiot utile de la Russie

Ce système mis en place par la Russie et qui cherche à détruire l’Ukraine comme pays s’appuie sur des idiots utiles et des collaborateurs. Parmi eux, le Rassemblement national. Ceux qui ont déployé depuis longtemps leurs argumentaires d’opposition à l’UE, qu’ils cherchent à saper de l’intérieur. Ceux qui veulent détricoter les mécanismes de solidarité qui ont permis de sortir de la Seconde Guerre mondiale par le haut, de réconcilier les peuples divisés, de préserver la paix sur une partie du continent et d’assurer une certaine stabilité économique. Ceux qui prétendent s’être éloignés de la Russie en paroles mais dont les loyautés réelles sont là. Ceux qui, encore aujourd’hui, admirent la Russie et la présentent comme un modèle. Qui feront tout pour limiter l’aide à l’Ukraine au strict minimum et se rapprocher de leur partenaire russe et de ses politiques impérialistes. Et nous avons à décider si nous les laissons faire.

Nul n’est besoin ici de revenir sur les liens très documentés de rattachement idéologique, politique, et parfois financier, entre le RN et une partie de ses membres – dont certains candidats élus au premier tour dimanche dernier – et la Russie. 

Au-delà de tous les autres risques réels pour la démocratie, le vivre-ensemble et les droits de l’homme posés par l’accession du RN au pouvoir, ce risque majeur pour notre sécurité et notre avenir n’a été que très peu abordé dans les débats. Or la Russie vient d’apporter son soutien officiellement au RN dans ces élections.

Après en avoir beaucoup parlé, l’Ukraine a disparu des débats politiques. Or son avenir conditionne en grande partie le nôtre, celui de nos enfants, si nous voulons qu’ils continuent à vivre dans un monde ou le système multilatéral et le cadre du droit international permettent de réguler – certes imparfaitement – le recours à la force, de vivre ensemble le plus pacifiquement possible et de prévenir ou punir les crimes les plus graves. 

Voter pour le Rassemblement national dimanche – ou ne pas voter, d’ailleurs –, c’est choisir d’installer au pouvoir ceux qui privilégient une alliance avec ce régime fondé sur la violence entre les nations, l’économie de la prédation, le gouvernement par la force et le rejet des mécanismes de régulation internationale. Voter RN au nom du « on n’a pas encore essayé », c’est accepter que des faux nez du régime russe prennent des décisions au nom du peuple français, inspirées par ceux qui mènent la guerre à l’Europe. C’est choisir d’essayer la force contre le droit. C’est oublier tous ceux qui, à l’est de l’Europe, ont eu à essayer, et ne cherchent plus qu’à survivre. 

 Pascal Turlan

 

BIO EXPRESS

Pascal Turlan est directeur juridique et directeur du Programme Ukraine de l’ONG Project Expedite Justice, ancien conseiller du bureau du procureur de la CPI

 

 

 

 > La moitié des Ukrainiens auraient aujourd'hui besoin d'un soutien psychologique. A cette anxiété sourde, permanente s'ajoute l'incertitude quant à la fin de la guerre, qui semble encore bien loin.

Pour les Français, les mois de juillet et août sont généralement synonymes de vacances, de plage et de « tubes de l'été », chansons niaises mais accrocheuses qui rythment la période estivale avant de disparaître aussi soudainement qu'elles sont apparues.

Pour les Ukrainiens, le son de l'été 2024, c'est le ronronnement des groupes électrogènes qui, dans les rues de Podil, quartier historique du centre-ville de Kiev, s'unissent dans une cacophonie assourdissante ; c'est le mugissement anxiogène d'une énième alerte aérienne qui résonne la nuit dans les artères sombres et désertes des villes du pays ; c'est le cri lancinant des sirènes de police qui précèdent, à Lviv, le cortège funéraire d'un soldat, mort pour l'Ukraine.

 Lesechos


 

 

 

 

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